Rencontre avec Grégoire Courtois, libraire à Auxerre

Grégoire Courtois est le propriétaire et gérant de la librairie indépendante Obliques, située 68 rue Joubert à Auxerre. Il partage avec nous son expérience en matière de communication.

Bonjour Grégoire, peux-tu commencer par nous présenter ton parcours et ton activité actuelle ?

Comme beaucoup de libraires, j’ai un parcours éclectique, même si j’ai toujours travaillé dans le milieu culturel. Après 11 ans au Théâtre d’Auxerre en tant que chargé de l’action culturelle, où je m’occupais d’un cycle de lectures de pièces de théâtre contemporain, de conférences auprès des scolaires mais aussi du site internet, j’ai racheté la librairie Obliques, à Auxerre, et depuis 4 ans, je suis libraire.

A quoi ressemble une de tes journées-types ?

Dans ce métier, il y a de moins en moins de journées-types car même si on doit ouvrir la boutique et déballer les cartons tous les matins, je ne suis pas seul et mes collègues se chargent de ces tâches quotidiennes. De mon côté, je dois acheter les livres qui paraîtront dans les mois à venir, ça implique de rencontrer des commerciaux qui me les présentent un par un, car j’ai choisi chacun des 20 000 livres qui sont en vente dans ma boutique. Ensuite, une grosse partie de notre travail consiste à se procurer des livres qui n’ont pas de distributeur mais qu’un client nous a demandé. C’est un travail de recherche laborieux. Enfin, je consacre une bonne partie de mes journées à préparer les rencontres avec les auteurs qui viendront à la librairie et à communiquer pour annoncer leur venue, parce que proposer de nombreuses animations c’est bien, mais faire savoir aux gens qu’elles existent, c’est mieux. Dans ce cas, il n’y a pas d’horaires ni de jours de travail. Je suis patron et par conséquent, je travaille à peu près tout le temps, soir et week-end compris. Je m’occupe souvent des chroniques de livres le dimanche par exemple, quand je suis un peu plus au calme pour rédiger.

A l’heure où les librairies indépendantes sont mises à mal par de grands groupes type Amazon ou l’espace culturel Leclerc à Auxerre, quelles actions mets-tu en place pour promouvoir et développer Obliques ?

Je n’ai rien inventé. Je me contente de faire mon travail de libraire indépendant le mieux possible, ce qui est la meilleure réponse à donner à ces offres purement commerciales dont tu parles. Au quotidien, ça signifie fidéliser notre clientèle sur des bases de confiance et d’écoute. Je ne conçois jamais une action en me disant « qu’est-ce que ça va me rapporter ? ». Je préfère développer des rendez-vous conviviaux, créer des vitrines décalées, iconoclastes, et faire découvrir des auteurs singuliers. Amazon ne dira jamais à un de ces clients « je ne sais pas si vous allez aimer ce livre, mais faites-moi confiance. » Et Leclerc ne fera jamais une vitrine avec inscrit en grosses lettres « Comment louper votre bac avec panache » au moment des examens. Les libraires indépendants ont cette liberté, de ton, d’action. C’est notre force et c’est pour ça que les gens nous aiment.

Concernant la communication, quels médias utilises-tu et quel usage réserves-tu à chacun d’eux, notamment en ce qui concerne les médias numériques (site, blog, réseaux sociaux…) ?

Depuis 4 ans, je me suis interdit de faire de la publicité pure, autrement dit acheter des encarts dans la presse ou de l’affichage. En revanche, je privilégie l’information riche, c’est-à-dire avec du contenu. Quand je sors notre dépliant trimestriel (tiré à 5000 exemplaires en moyenne), je parle des livres, des auteurs, et de l’information culturelle. Le commercial n’est jamais mis en avant. Idem pour la presse locale. Quand on parle de la librairie, c’est pour relater la venue d’un auteur et ce genre d’article est mille fois plus bénéfique pour la librairie que n’importe quelle pub annonçant je ne sais quelle promo.

Enfin, pour ce qui est du numérique, j’ai immédiatement utilisé Facebook et Twitter pour communiquer. Ce sont des canaux indispensables, pas seulement pour toucher les clients potentiels mais aussi pour faire connaître la librairie dans l’ensemble de la profession. Proportionnellement, nous sommes beaucoup plus suivis en ligne par des amateurs de littérature en général que par des Auxerrois qui fréquentent notre boutique. Ca assoit une image, un certaine rigueur, mais aussi un ton décalé et humoristique qui montre à nos interlocuteurs commerciaux (les éditeurs notamment) qui nous sommes et quel est l’esprit de la librairie. Il n’y a aucun autre moyen de créer cette connivence que par la communication permanente en ligne. Une opération spécifique, aussi bonne soit-elle, pourra être mal interprétée par quelqu’un qui ne sait pas qui nous sommes. Une blague pourra être prise au premier degré et entraîner des quiproquos. En revanche, en se familiarisant avec notre esprit, on peut intégrer que chez Obliques, il n’est pas rare qu’on parle de Star Wars et de Echenoz dans la même phrase. Il est presque impossible de manifester cet éclectisme dans la communication de masse à laquelle se livrent les mastodontes du secteur.

Comment mesures-tu l’efficacité de ta communication numérique ? Utilises-tu des outils comme Google Analytics, ou autre(s) ?

Avant que notre site ne propose une solution de vente en ligne, je n’ai jamais cherché à mesurer notre audience. Mais depuis août et l’ouverture de notre partie marchande, j’y suis attentif, avec Analytics en effet, principalement parce que notre audience a explosé et que j’étais curieux de savoir pourquoi. Il s’avère que nous sommes plutôt bien référencés sur Google et le fait de débarquer avec 3 millions de nouvelles pages du jour au lendemain a provoqué un dérèglement passager du moteur de Google. On s’est retrouvés pendant deux mois sur la première page de résultats pour n’importe quelle requête sur un titre livre au hasard. Ca a été assez impressionnant parce qu’on comptabilisait environ 10 000 visiteurs uniques par jour et du coup, on recevait des coups de fil, des commandes, des mails non-stop toute la journée. C’est là qu’on mesure vraiment l’importance de Google. On a traité plus de 1000 commandes en deux mois en facturant les frais de port aux clients. Autrement dit, contrairement aux idées reçues, une grande majorité des acheteurs en ligne se moquent de payer un peu plus : ils vont simplement au plus simple, c’est-à-dire au premier lien qui tombe sur Google.

Pour terminer, sur la page dédiée à Obliques sur le site (association de libraires indépendants), on peut lire, je te cite : “Aujourd’hui, le fonctionnement d’Obliques n’a plus rien d’artisanal, mais j’aime à penser que l’esprit des lieux – libertaire, érudit et décalé – est plus que jamais vivant, car pour reprendre une librairie en 2011, il faut bien avouer qu’une certaine dose de folie n’est pas seulement nécessaire. Elle est indispensable.” Quelle est l’action de communication la plus audacieuse que tu aies mise en place ?

En fait, j’ai fait une action qui a eu un impact considérable, mais en le faisant, je n’avais pas l’impression d’être particulièrement audacieux. Je faisais juste la même chose que d’habitude : l’imbécile.

C’était en octobre 2012 et coup sur coup, la ville d’Auxerre a connu l’ouverture de deux grandes surfaces culturelles : Cultura et Leclerc. Avec un ami, en cinq minutes, on a donc eu l’idée de marquer le coup en faisant une vidéo parodique où je présentais l’ouverture de notre rayon surgelés :

L’effet a été fulgurant, l’info reprise par tous les médias nationaux (TF1, France 2, RTL, Nouvel Obs, Libé, Le Monde…) et j’ai même donné une interview à Radio Canada. Mais honnêtement, je ne pensais vraiment pas que cela allait provoquer un tel buzz et bien souvent, l’info a été partagée sans même que les personnes sachent de quelle librairie il s’agissait ni dans quelle ville elle était. C’est l’inconvénient des buzz massifs et des partages en chaîne : bien souvent, le message reste mais l’origine disparaît. Donc cette vidéo nous a servi un peu, mais elle a surtout servi à l’ensemble des librairies indépendantes et c’est pas plus mal.

Encore une fois merci pour ton partage et que la Force soit avec toi !

Jeanne Serre

Jeanne Serre

Community manager / étudiante LP ATC COMEN chez Evolunium Conseil
Jeanne Serre

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